Le récent fiasco du projet de fusion entre Renault et FCA, le délitement progressif de l’Alliance entre Renault, Nissan et Mitsubishi illustrent à quel point les manœuvres d’états-majors sont vaines dès lors qu’il s’agit de faire marcher à l’amble, des organisations complexes. La bonne volonté et les talents diplomatiques des actionnaires ou de leurs représentants, conseillés par des banquiers dont la seule motivation est le niveau de leurs commissions, ne pèsent d’aucun poids face aux résistances des équipes dirigeantes opérationnelles, dont le talent et l’énergie sont, tout entiers, concentrés sur les opportunités d’amélioration de leur situation personnelle, dans un contexte nouveau.
S’il n’y a pas de leader incontesté pour conduire de tels projets, leur échec est quasi-certain. Carlos Ghosn manque cruellement à Renault aujourd’hui. Quoi que l’on pense de ses supposées malversations, son absence à la tête du groupe Renault-Nissan-Mitsubishi est un véritable désastre pour l’Alliance. Son emprisonnement a dissous la cohésion qu’il maintenait d’une main de fer, grâce à son leadership charismatique, dû, pour l’essentiel au succès des restructurations qu’il avait conduites. Parce qu’il avait su redresser Nissan, et de quelle manière, parce qu’il avait accru les profits opérationnels de Renault et multiplié sa valeur de façon spectaculaire, parce qu’il aurait su tenir à distance le gouvernement français dont les gesticulations autour du projet Renault-Nissan-Mitsubishi-FCA ont constitué des interférences nuisibles que ne justifient pas les 15% détenus par l’état français au capital de Renault, lui-seul aurait disposé de la compétence et de l’autorité nécessaire pour conduire un projet de cette ambition. Ceux qui se sont débarrassés de lui, probablement certains des dirigeants actuels de Nissan, qu’il envisageait d’ailleurs de remplacer, vont retourner à leurs vieux démons, lesquels, justement, avaient conduit l’entreprise au bord de la faillite en 1999.
N’est-il pas temps que Renault fasse valoir les droits que lui confère sa position d’actionnaire à 43% de Nissan ? Proche de la majorité absolue, Renault pourrait, à tout moment lancer une OPA pour prendre le contrôle total de sa filiale Nissan. Il faut cesser d’entretenir l’illusion des fusions entre égaux. Ce concept n’existe pas. En 1999, Renault se portait bien et Nissan était au bord de la faillite. Renault a apporté les ressources financières nécessaires, mais aussi, et surtout, les ressources humaines qui ont permis le redressement de Nissan. En prendre le contrôle est parfaitement légitime, même dans un contexte de nationalisme économique exacerbé.
Carlos Ghosn est aujourd’hui hors-jeu. Son remplacement par des gouvernances complexes, tant au Japon qu’en France, ne donnera de résultats que si elles font émerger un nouveau leader en mesure de fédérer l’ensemble. Contrairement à la doxa ambiante, ce ne sont pas les comités ou les conseils de surveillance et d’administration qui font les performances mais le leadership, la capacité d’un seul homme, à la tête d’une organisation, à entraîner les autres vers les horizons qu’il a dessinés. Le secteur automobile a vu émerger de grands leaders au cours de son histoire. Et ce n’est pas le dernier en date qui démentira ce fait. Le parcours de Carlos Tavarès, un disciple de Ghosn, à la tête de Peugeot, d’abord, à la manœuvre, ensuite, pour redresser avec succès Opel, après 20 ans de pertes récurrentes au sein de General Motors, en est une démonstration éclatante. Pour résoudre l’équation Renault-Nissan-Mitsubishi, d’abord, puis être en mesure d’envisager un regroupement avec FCA, il faut recruter un patron incontesté. Voilà l’urgence pour ce groupe. Le président actuel, qui fait l’unanimité pour son éthique des affaires, s’honorerait d’en lancer le processus.