Les fabrications de plusieurs modèles importants, chez Renault et PSA, vont quitter l’Hexagone et le niveau de production va chuter de 22 % en 2020, à environ 1,7 millions de véhicules. Or, en 1903, la France fabriquait 50% des voitures mondiales. En 1955, il y avait, chez nous, 5 grands constructeurs : Renault, Citroën, Peugeot, Simca, Panhard, à peu près le même nombre qu’en Allemagne, et de nombreux carrossiers et assembleurs comme Facel Vega ou Henri Chapron. La production française était alors de 725.000 voitures contre 908.500 en Allemagne. La même année sortait des usines Citroën une merveille technologique : la DS 19. Oui, l’innovation et l’audace étaient alors françaises.
Que s’est-il passé depuis ? En 2016, la France a produit 2 millions de voitures, l’Allemagne 6 millions. Cherchez l’erreur ! Incapable de produire des voitures haut de gamme à forte valeur ajoutée, comme les Allemands, elle serait désormais aussi de moins en moins compétitive dans le bas de gamme, face aux usines des ex-pays de l’est ou du Maghreb.
Depuis près de 60 ans, les pouvoirs publics, par incompétence et dogmatisme, assassinent cette industrie avec méthode et détermination. Considérant que l’automobile est un produit de luxe, tous les gouvernements successifs en ont fait une vache à lait et l’ont trait jusqu’à l’épuisement. A la fin de la deuxième guerre mondiale, Renault, confisqué par l’état, est livré à la CGT et privilégie l’idée d’une vitrine sociale au souci de l’efficacité industrielle. Les carburants sont taxés de façon beaucoup plus lourde que chez nos voisins. Puis, en 1956, la vignette est assise sur la puissance fiscale. Invention tricolore pour nous protéger de l’importation des belles mécaniques étrangères, elle a surtout détourné nos constructeurs du haut de gamme. Etonnez-vous ensuite qu’en France, on n’ait jamais produit de moteurs puissants. Pourtant, nos ingénieurs savent faire ; les succès de Renault comme motoriste de Formule 1 depuis 35 ans sont là pour le prouver. En 1956, c’est l’avènement de la TVA. L’auto, un luxe, se voit donc appliquer le taux de 33,33% jusqu’en 1987. Les entreprises ne peuvent pas la récupérer. Elles ne peuvent pas non plus amortir les véhicules à leur prix. Quand on achète une DS, l’amortissement est limité à celui d’une 2CV ; cerise sur le gâteau, en 1974 est instaurée une taxe annuelle sur les véhicules de société. En 1973, enfin, apparaissent les limitations de vitesse. Si, pour des raisons de sécurité routière, elles étaient absolument nécessaires en ville et sur la route, on peut se poser la question de leur utilité sur les autoroutes.
L’industrie automobile, comme toute l’industrie, d’ailleurs, sur la perte de laquelle on verse régulièrement des larmes de crocodiles, a pâti également des contrôles et normes de toutes sortes, infligés à l’économie française : contrôle des changes, contrôle des prix, encadrement du crédit et, pour finir, politique délibérée, dite du franc fort, dans les années 1990.
Rien de semblable en Allemagne. D’abord, on y aime les voitures, les belles voitures et, parce que l’Etat, comme dans beaucoup d’autres domaines, laisse s’épanouir son industrie, dans la continuité du libéralisme économique instauré dès la création de l’état fédéral par son ministre de l’économie, Ludwig Ehrhard, le secteur automobile prospère, même en ces temps de disette. Il n’a eu à affronter qu’un seul vrai problème : un Deutsche Mark régulièrement réévalué, sanction de ses succès à l’export.
Nos dirigeants devraient s’inspirer de cette lente agonie de l’automobile française lorsqu’ils tentent de créer les conditions du redéploiement de notre économie marchande. Maintenir un niveau de prélèvements supérieurs de 10 points à celui de nos concurrents directs, c’est tout simplement prétendre s’aligner à un 10.000 mètres avec des gueuses de fonte aux pieds. Ce qui est arrivé à l’automobile française et à l’industrie, en général, n’arrivera-t-il pas, inéluctablement, à d’autres secteurs de l’économie, entraînant son cortège de chômage et de fuite de talents ?
Rétroliens/Pings