Dans la guerre économique que se livrent actuellement Etats-Unis et la Chine, j’ai été surpris par leur impact meurtrier sur certaines entreprises américaines. Apple, par exemple, avant l’annulation, pour les outils numériques, de la taxation de 125% de droits de douane sur les produits importés de Chine, se serait retrouvé, quasiment sans préavis, avec des hausses de coûts impossibles à répercuter sur ses prix de vente. Nous avons découvert, à cette occasion, que la firme à la pomme concentrait 80% de la production de ses iPhones auprès d’un seul sous-traitant, qui plus est, en Chine.

Si les qualités managériales de Tim Cook, qui assure, avec talent, depuis quatorze ans, la succession de Steve Jobs, ne sont pas à remettre en cause, on peut s’interroger sur ses qualités de stratège.

En premier lieu, mais c’est un autre sujet, Apple n’a plus rien inventé depuis le départ de Steve Jobs. Il y a eu des évolutions dans les produits, des améliorations dans le design, mais rien de vraiment nouveau. La compétence du management a permis à l’entreprise, grâce à son positionnement haut de gamme, d’améliorer ses résultats, année après année et d’atteindre des niveaux de valorisation stratosphériques en bourse, mais le modèle économique commence à pâtir de ses retards technologiques, la lenteur avec laquelle elle intègre l’IA étant un signe avant-coureur particulièrement significatif, à cet égard.

En second lieu, Tim Cook, qui avait été engagé par Steve Jobs, dès 1998, juste après son retour à la tête d’Apple, pour prendre en charge l’exploitation, est d’abord un homme de production et de logistique. D’une très grande efficacité, il a peaufiné cette compétence et fait d’Apple une véritable horloge, en termes de supply chain, améliorant ainsi régulièrement ses résultats, au quotidien, grâce à une organisation d’une rigueur implacable. En conséquence, à la question que se posent toutes les organisations : Make or Buy ? Apple a toujours choisi pour réponse : Buy, entraînant une optimisation forcenée des achats. Mais, un système qui, privilégiant exclusivement les coûts, fait fi, d’une part, des menaces de guerre commerciales, lesquels datent pourtant d’avant l’arrivée de l’administration Trump et qui, d’autre part, tient pour négligeable la puissance de nuisance éventuelle d’un système politique chinois omniprésent à tous les stades de la production, néglige forcément les dangers inhérents à la concentration des achats en un seul lieu et dans un milieu politique hostile. Cela m’apparaît comme une prise de risque insensée. Car enfin, Apple aurait pu diversifier ses approvisionnements, au Vietnam, en Inde ou ailleurs. Il aurait même pu maintenir des capacités aux Etats-Unis. Evidemment, le coût de revient moyen aurait été supérieur, mais la prise de risques moins grande, car permettant des transferts entre pays, à l’occasion de menaces comme celles d’aujourd’hui. On a préféré l’avidité à la sagesse. La pression d’un cours de bourse, à toujours faire monter au plus haut, peut amener des dirigeants à privilégier l’optimisation des coûts au détriment de la pérennité.

Dans un ouvrage datant de 1992, un collectif d’auteurs de Harvard, Bettis, Bradley et Hamel écrivaient déjà, dans un article intitulé « Outsourcing and industrial decline » : « Trop sous-traiter, c’est peut-être abandonner les moyens de se battre, même si chaque sous-traitance, prise individuellement est parfaitement justifiée. »

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