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Adolf Dassler, né en 1900, et surnommé Adi, rentre, à 18 ans, à Herzogenaurach, après un an dans les tranchées, en France. il y retrouve son père, un modeste savetier, et sa mère, qui tient, derrière la maison familiale, une petite blanchisserie. Entrepreneur dans l’âme, il s’installe dans un coin de la blanchisserie et commence à fabriquer des chaussures pour les ouvriers, mais aussi, passionné de course à pied, des modèles pour la pratique de ce sport. Il a trouvé une mine de fournitures grâce aux stocks de chutes de cuir de l’armée allemande. C’est le succès. Rapidement, il se consacrera exclusivement à la fabrication de chaussures de sport.
Quelques années plus tard, désormais à la tête d’une belle entreprise de 50 salariés, il sollicite son frère aîné, Rudolf, dit Rudi, qui coule des journées mornes dans la police locale, afin de s’occuper des ventes, poste qui convient à merveille à cet extraverti-né. Les deux frères créeront la société Dassler Frères, dont ils détiendront 50% chacun. Leur union est quasi-fusionnelle. Ils partagent le même bureau et vivent sous le même toit. Leurs affaires prospèrent mais leur promiscuité crée progressivement de fortes tensions, leurs épouses goûtant assez modérément cette situation.
La guerre va achever de les brouiller. Rudi est mobilisé dans la Wehrmacht tandis qu’Adi est consigné à l’usine pour diriger la fabrication de bottes pour l’armée. Rudi en éprouve de la rancœur. De retour au bercail, les deux frères ne cesseront plus de se disputer, bien que l’entreprise recommence à prospérer. En 1948, c’est la rupture définitive. Ils créent chacun leur société : Adidas pour Adi Dassler et Puma pour Rudi.
Commence alors une bataille de titans pour la première place du podium. Les deux firmes deviennent ennemies, elles s’épient sans cesse, rivalisent d’imagination et de procédés retors pour décrocher des contrats avec les meilleurs athlètes du moment. La haine que se vouent les deux frères s’institutionnalise au niveau des équipes. C ‘est même le moteur de leur réussite. L’expansion d’Adidas et de Puma est impressionnante ; leur succès mondial. Mais, à force de s’épier l’une, l’autre, elles ne voient pas arriver les petits nouveaux que sont Nike et Reebok. Face à ces nouveaux venus, qui font de l’externalisation de la fabrication en Chine, un atout-prix, les deux frères, aux coûts de fabrication plus élevés, vont péricliter. Les familles fondatrices seront bientôt dépossédées de leurs actions.
C’est toute la limite du concept de l’ennemi stratégique. Excellent moyen de mobiliser ses équipes vers un but précisément désigné : le battre, le marché étant alors assimilé à un champ de bataille, il a pour conséquence un aveuglement certain.
Ferdinand Piëch, s’est servi de ce concept, avec des bonheurs divers. Si Audi, en quasi-faillite, à son arrivée, s’est redressée, sous sa direction, grâce à ses méthodes de management musclées et à son amour de l’automobile, elle a véritablement gagné son rang de constructeur premium, en désignant BMW comme son ennemi stratégique. Pour Volkswagen, par contre, à qui Piëch a assigné, bien plus tard, Mercedes-Benz comme ennemi stratégique, le résultat fut nul.
Il s’agit donc d’un concept à manier avec précautions car, si la motivation des équipes en est incontestablement améliorée, leur désir d’en découdre avec la concurrence les aveugle sur l’état des forces et des faiblesses de l’entreprise, analyse au moins aussi importante que le choix de l’ennemi stratégique.
Comme le soulignait Sun Tzu, dans l’art de la guerre : « Qui connaît l’autre et se connaît ne sera point défait »