Il y a deux ans, en mai 2019, était promulguée la loi » PACTE – plan d’action pour la croissance et la transformation des entreprises -« , dans le but de lever les obstacles à leur développement et de leur permettre de mieux prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux. Outre plusieurs dispositions utiles, destinées à simplifier leur vie quotidienne, l’annonce très médiatisée de la notion d’intérêt collectif, dans les statuts des sociétés, sous la forme d’une « raison d’être », devait réconcilier l’entreprise et le bien commun.
Les Français ont du libéralisme et du capitalisme, une vision inexacte et caricaturale. Nourris au paternalisme d’état, exigeant protection systématique face aux aléas, ils attendent, de surcroît, que toutes les inégalités soient gommées. L’état, dont les élus veulent évidemment être réélus, essaie donc d’y répondre, du mieux qu’il peut. Cette notion de « raison d’être » doit réconcilier un pseudo-capitalisme pur et dur avec les bons sentiments. Surtout, elle tente de faire passer le mistigri des évolutions sociétales, de l’état aux entreprises, alors que ce n’est absolument pas leur rôle.
Une entreprise naît pour servir des clients avec des produits et/ou des services de qualité, innovants, si possible, et au meilleur prix. Elle croît en respectant scrupuleusement ces règles simples. Milton Friedman, le diable pour certains, martelait : « The business of business is business ». Cette formule lapidaire recouvre aussi une théorie économique qui exige de l’entreprise le respect de la loi et prône la responsabilité personnelle, l’égalité des chances et la concurrence. Rien d’un capitalisme de combat, bien au contraire.
Pour atteindre ses objectifs économiques, l’entreprise n’a nul besoin qu’on lui assigne un rôle sociétal, qui est du seul ressort des gouvernements élus. Pourtant, de façon très concrète, elle s’y plie chaque jour. Comment, en effet, satisfaire ses clients, sur un marché hautement concurrentiel si ce n’est en obtenant l’adhésion et le concours de toutes les parties prenantes ? Outre les clients, priorité absolue, les actionnaires doivent être séduits par la création de valeur, le personnel impliqué par la qualité du travail proposé, les fournisseurs traités en partenaires et les financeurs par des garanties de pérennité. Une entreprise bien gérée sait percevoir les grandes tendances et s’y adapte, ne serait-ce que parce que ses clients l’exigent. Elle ne peut pas avoir d’autres objectifs que leur satisfaction, dans le respect des lois et règlements en vigueur, au sein de l’état qui l’abrite. Elle ne saurait, par contre, nullement s’y substituer, ne serait-ce que pour des raisons de concurrence. Leur raison d’être tient en quelques mots. L’une des plus anciennes est celle d’André Michelin qui la définissait ainsi, en 1912 : « Nous ne faisons pas des pneus ; nous aidons les voyageurs à se déplacer ».
C’est pour avoir négligé, qu’une entreprise doit se focaliser sur ses objectifs économiques, lesquels impliquent, bien sûr, le respect des lois et le souci des parties prenantes, qu’Emmanuel Faber a récemment été évincé de la tête de Danone. Entreprise exemplaire sur le plan social, conformément à la volonté de son fondateur, Antoine Riboud, lequel prônait, dans son fameux discours de Marseille, en 1972, que le changement technologique est une occasion d’améliorer la qualité de la vie au travail, elle applique depuis, ce qui est devenu une évidence mondiale aujourd’hui. Quand on mesure les conséquences de la motivation et de l’enthousiasme des femmes et des hommes sur l’efficacité, on comprend mieux pourquoi une entreprise qui traite bien toutes ses parties prenantes, bénéficie d’un surcroît de compétitivité, face à ses concurrents. C’est la bonne gestion, dans le respect de la loi, à l’écoute des signaux sociétaux, qui fait les entreprises efficaces, créatrices d’emploi et contributrices à la collectivité et non un supposé rôle messianique.
Une fois de plus, le législateur a alourdi le fonctionnement de l’entreprise en pensant l’améliorer, nouvelle preuve de son incapacité à comprendre les ressorts de son développement. Car Danone a des concurrents puissants et un capital dispersé. La moindre difficulté la rend vulnérable, sur le marché, et dans son actionnariat. Que dira-t-on demain des entreprises à raison d’être qui se font racheter en bourse par des concurrents sans autre raison d’être que la performance économique ?