Joël Mokyr est un historien de l’économie américano-israélien, professeur à la prestigieuse université Northwestern aux Etats-Unis. Dans son dernier livre, « La culture de la croissance. Les origines de l’économie moderne », il définit la culture d’entreprise comme une ensemble de croyances, de valeurs et de préférences, susceptibles d’affecter les comportements. Il lui attribue le mérite d’améliorer les performances économiques en développant l’idée que plus de confiance et de coopération réduit les coûts de transaction et donc, facilite les échanges.

Dans une chronique récente, j’avais, de mon côté, évoqué le risque qu’une culture forte, associée à un leadership faible, peut faire courir à l’entreprise, en ralentissant son progrès et en ne lui réservant pas forcément un accueil enthousiaste. Toutefois, les avantages d’une authentique culture d’entreprise l’emportent nettement sur cet éventuel inconvénient.

C’est le ciment des équipes, fait d’histoires, voire de légendes, d’attitudes et de comportements codifiés, qui constituent, tant pour les vétérans que pour les nouveaux venus, autant de signes d’appartenance que de reconnaissance. Chacun se sent lié par un pacte non écrit, autour d’un leader incontesté et souvent idéalisé. Il s’agit d’un partage, d’un climat harmonieux, que chacun fait l’effort de pérenniser. C’est aussi là, sa fragilité. Qu’adviennent des situations exigeant des mesures contraignantes et bousculant les codes en vigueur, cette culture va alors, soit traverser l’épreuve avec succès et contribuer à la résolution des problèmes, soit voler en éclat.

Volkswagen constitue un exemple presque caricatural des deux versions, à près de trente ans d’intervalle. Au milieu des années 1990, l’entreprise, dont l’histoire avait façonné une culture très forte, en particulier au sein de l’usine-mère de Wofsburg, rencontre, pour la première fois, de grosses difficultés, essentiellement dues à des ventes en recul et à des filiales nécessiteuses. En se référant aux seuls critères économiques, l’entreprise aurait dû licencier massivement. Or, le DRH, qui venait de rejoindre l’entreprise, Peter Hartz, avait une fibre sociale développée et l’un des actionnaires de référence, le land de Basse-Saxe, à majorité social-démocrate et présidé par Gerhard Schroeder, était éminemment représenté au conseil de surveillance. C’était donc impensable, bien que les équilibres financiers soient compromis. Peter Hartz eut alors l’idée de rechercher un consensus. Il réunit, par groupes, les salariés et leur famille, pour leur proposer la variabilité des horaires et des salaires, de 28 à 45 heures par semaine, en contrepartie du renoncement aux licenciements. Volkswagen traversa cette épreuve avec succès, renoua avec la croissance et la culture de l’entreprise perdura jusqu’à une époque récente.

Mais, depuis quelques semaines, rien ne va plus. La conjoncture, le passage forcé à l’électrique, conduisent l‘entreprise au désastre, si elle ne se restructure pas d’urgence. Alors, cette fois, il faut faire vite et renoncer à la recherche du consensus. Le président du directoire agit avec brutalité, annonce la fermeture de 3 usines et la suppression de dizaines de milliers d’emplois. La réaction, tout aussi brutale des représentants du personnel et des syndicats, montre que la culture d’entreprise historique de Volkswagen s’est instantanément évanouie à l’annonce du projet.

En définitive, la culture d’une entreprise repose d’abord sur sa réussite. Aucun salarié ne peut être fier d’une entreprise qui échoue. Aussi, lorsque surviennent des difficultés, cela peut arriver, le devoir du leader est de rechercher d’abord le consensus par une communication claire et franche. C’est le seul moyen de sauver une culture qui, par son influence sur tous, sur le long terme, permettra, même dans des circonstances difficiles, de trouver les vraies solutions.

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