Depuis le début de la crise sanitaire, nos gouvernants ne cessent de prendre des décisions autoritaires. Souvent contradictoires, elles apparaissent toujours floues, sujettes à discussion et à comparaison, ce qui les rend inéquitables aux yeux des populations concernées. Restrictives de nos libertés les plus élémentaires, elles sont, de plus, assorties de sanctions immédiates. Ce foisonnement d’incohérences n’est pas de leur seul fait. Il est soigneusement entretenu par la multitude de fonctionnaires qui peuple les cabinets ministériels et la haute administration, laquelle, nourrie de convictions jacobines, entend, de Paris, faire notre bonheur malgré nous.

Notre régime politique n’est plus une démocratie représentative, mais une technocrature – dictature de la technocratie – exercée, entre autres, par les 7000 anciens élèves de l’ENA. En 75 ans, ils ont investi toutes les administrations, tous les ministères, nombre de structures économiques et sociales, la plupart des postes politiques, premier ministre et président de la république compris. Ils ont rendu la chose publique à ce point complexe, que désormais seuls à en connaître les rouages dans le détail, ils entendent bien y prospérer. Dans le traitement de la crise sanitaire, associés aux médecins dont le spectacle médiatique quotidien conjugue dogmatisme et invective, ils ont créé ce que l’économiste Jean-Marc Daniel désigne, à juste titre, comme le complexe médico-technocratique.

Nous sommes ainsi passés du : « le masque ne sert à rien, il est même dangereux… » au : « le masque est obligatoire, sinon 135€ d’amende ». « Il y a désormais, écrit André Comte-Sponville, un ordre sanitaire comme il y avait autrefois un ordre moral ».

Peu importe que la mortalité, de mai à août 2020, n’ait pas progressé, par comparaison avec 2019 (INSEE) ; peu importe que le chômage explose, tout particulièrement chez les jeunes, malgré les milliards déversés ; peu importe que la dette du pays s’envole en même temps que décroît son PIB, la technocrature parisienne, effrayée par les éventuels procès qui pourraient lui être intentés, maintient le cap, fait agir les préfets et arbitre au moins risqué pour elle, imposant ses décisions à des édiles indignés, pourtant fraîchement élus.

Cette nouvelle caste, qui s’est arrogée tous les pouvoirs, est pourtant totalement incompétente, dès qu’il s’agit de la vie des entreprises au quotidien, cette méso-économie qui crée la richesse et l’emploi. Citons Isabel Marey-Semper, présidente du jury de l’ENA, commentant le rapport qu’elle a remis au premier ministre, en janvier dernier : « ces jeunes gens sont excellents en droit public, finances publiques, macro-économie mais ils voient surtout le secteur privé comme une source de financement de l’action publique, par les recettes fiscales ».

C’est pourquoi il faut d’urgence, décentraliser, transmettre tous les pouvoirs aux collectivités locales et exiger que l’état se mette à leur service. Il est intolérable que les grandes métropoles, les départements, les régions se voient imposer par les préfets des décisions contraires à leur volonté.

Au lieu de pratiquer un autoritarisme sanitaire tatillon, la technocrature ferait mieux, pour dynamiser l’emploi, de s’occuper de notre attractivité – nous avons les compétences les plus basses de l’OCDE, les coûts salariaux et les impôts les plus élevés – en engageant une vraie réforme de l’état. Mais, comment demander à une classe devenue dominante de scier la branche sur laquelle elle s’épanouit.

Georges Pompidou, dans « Le nœud gordien », écrit pendant son éphémère retraite du pouvoir en 1968/69, prophétisait : « La république ne doit pas être la république des ingénieurs, des technocrates, ni même des savants. Je soutiendrais volontiers qu’exiger des dirigeants du pays qu’ils sortent de l’ENA ou de Polytechnique est une attitude réactionnaire qui correspond à l’attitude du pouvoir royal, à la fin de l’ancien régime, exigeant des officiers une certain nombre de quartiers de noblesse. La république doit être celle des politiques, au vrai sens du terme, de ceux pour qui les problèmes humains l’emportent sur tous les autres, ceux qui ont de ces problèmes une connaissance concrète, née du contact avec les hommes, non d’une analyse abstraite ou pseudo-scientifique de l’homme ».

J’appelle de mes vœux le retour à une politique hardie, animée par des femmes et des hommes courageux qui privilégient l’économie, le travail, la vie. Notre président nous a déclaré en guerre. A-t’on jamais gagné une guerre, réfugié dans un abri ? En laissant l’intendance définir la stratégie ? En sacrifiant la génération montante ? Non, ce n’est pas en nous protégeant, au-delà du raisonnable, que nous surmonterons ce défi. Inquiétons-nous du chômage des jeunes plutôt que de leur fêtes et libérons les énergies en laissant agir les élus qui  sont au contact du terrain.