Le terme de subsidiarité s’est récemment introduit dans le vocabulaire du management, pour illustrer ce que certains considèrent comme l’étape ultime de la décentralisation ou de la délégation, juste avant l’éclosion de « l’entreprise libéré ». Or, c’est tout l’inverse.

La décentralisation, la délégation, c’est le partage du pouvoir, la résolution, au plus proche de l’action, des problèmes rencontrés, grâce à un flux descendant d’autorité. C’est, en quelque sorte, l’application du discours de la méthode de Descartes, dans son second précepte, qui « consiste à diviser chacune des difficultés que j’imaginais en autant de parcelles qu’il se pouvait et qu’il serait requis pour les mieux résoudre ». C’est aussi, une fois l’action réalisée, un reflux ascendant de rapports d’exécution.

La subsidiarité, dans son concept, existe, probablement, depuis que l’homme est homme mais son exemple le plus parlant est, sans nul doute, la rédaction du pacte fédéral, considéré comme le plus ancien texte constitutionnel suisse, par lequel la communauté des vallées d’Uri, de Schwyz et de Nidwald se sont juré un soutien mutuel, contre toute personne extérieure susceptible de les attaquer ou de leur causer du tort. 

Sur le plan économique, la fondation par Frédéric Guillaume Raiffeisen, lors de la crise alimentaire de 1846/48 de plusieurs associations d’entr’aide financière, pour lutter contre la pauvreté, en Prusse, en Rhénanie et en Alsace, fut, par l’union volontaire des premiers établissements en structures fédératives, à l’origine du Crédit Mutuel.                   

La subsidiarité, c’est donc l’inverse de la délégation. Une entité, libre et indépendante, jouissant de l’intégralité de ses pouvoirs, donne mandat à une autre entité, mutuelle ou fédérative, d’exercer, en son nom, des prérogatives pour lesquelles elle se juge, soit incompétente, soit trop petite. C’est une délégation à rebours.

On rencontre ces formes d’organisation dans de nombreux secteurs où elles cohabitent, d’ailleurs, avec des formes plus traditionnelles et se livrent une concurrence acharnée.

Dans le secteur bancaire, des groupes mutuels ou coopératifs, issus d’entités individuelles à l’origine, comme le Crédit Mutuel, le Crédit Agricole ou les Banques Populaires pratiquent la subsidiarité face à des groupes décentralisés comme BNP-Paribas, ou Société Générale.

Dans la grande distribution, Carrefour, Auchan ou Casino décentralisent leur action quand Leclerc, Intermarché ou Système U se sont construits sur la subsidiarité.

Qu’en tirer comme leçon ?

Il semble que les groupes issus de la subsidiarité se montrent plus réactifs et plus agiles, qu’ils sont moins sujets aux mouvements sociaux et suscitent plus d’engagement et de motivation de la part de leurs collaborateurs et associés, en prise directe avec l’action. C’est sans doute lié au sentiment de responsabilité qu’appelle la subsidiarité mais aussi au fait que le foisonnement des normes et procédures y est moins touffu.

Pour l’avenir, cette forme d’organisation va, naturellement, gagner du terrain, par l’attraction qu’elle suscitera auprès des générations récemment entrées sur le marché du travail ou prêtes à y entrer. Ces générations, dites Y et Z, dont on analyse en permanence les aspirations, veulent de l’autonomie et du sens à leur travail. Elles n’acceptent pas facilement le bon vieux système hiérarchique, même délégué.

La subsidiarité est alors certainement la meilleure des réponses mais elle est difficile à mettre en œuvre, lorsqu’elle n’a pas été conçue dès l’origine, car elle se heurte à la culture et au poids des traditions des entreprise nées verticales. Elle effraie aussi les dirigeants qui en craignent l’irréversibilité. Mais dans un monde où l’individualisme progresse chaque jour, elle est peut-être une réponse à l’absence de goût au travail constaté au cours des dernières années.